Depuis toujours ardent défenseur de la musique française, le chef britannique John Eliot Gardiner a délaissé ce 4 février son Orchestre Révolutionnaire et Romantique pour le confort moderne du Philharmonique de Radio France. C’est pour Antoine Tamestit l’occasion de renouveler son astucieuse mise en scène de Harold en Italie, testée pour la première fois aux Proms de 2018 avec le même chef. En se déplaçant entre les pupitres dans son smoking gansé de blanc tout en mimant l’étonnement, la crainte ou la surprise, l'altiste donne autant à voir la quête du pèlerin que les paysages qu’il traverse, soutenu par de discrets effets de lumière.

Antoine Tamestit dans <i>Harold en Italie</i> à Radio France &copy; Christophe Abramowitz / Radio France
Antoine Tamestit dans Harold en Italie à Radio France
© Christophe Abramowitz / Radio France

L’entrelacs polyphonique qui ouvre la « symphonie avec un alto principal » de Berlioz évoque ce soir le souvenir du convoi funèbre de Roméo et Juliette, l’entrée éplorée du basson et du hautbois sur un lit de cordes développe une belle courbe dynamique jusqu’à l’entrée du soliste ; la sonorité aux riches couleurs de mezzo, la reprise pianissimo de la cantilène, le vibrato discret ne souffrent nullement des déplacements du musicien qui frotte sa palette sonore à celles des musiciens qu’il croise sur son chemin. La volubilité du soliste trouve un accord parfait dans la proposition poétique de Gardiner qui ne réservera les éclats les plus terribles du très en forme Philharmonique de Radio France que dans l'« Orgie de brigands » conclusive.

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Antoine Tamestit dans Harold en Italie à Radio France
© Christophe Abramowitz / Radio France

Le temps suspendu de la « Marche des pèlerins » accueille des bariolages sul ponticello (sur le chevalet) évanescents mais admirablement connectés à l’orchestre, la tarentelle précédant la « Sérénade d'un montagnard des Abruzzes » est fière et chaloupée, le solo de cor anglais suprêmement élégant. Vaguement inquiet depuis que l’orchestre joue debout pour l’épisode des brigands et épouvanté par le fracas des cuivres, Harold-Tamestit s’enfuit véritablement de la salle ; il faut dire que ces assauts de cordes contre des trombones rageurs ont de quoi faire peur ! La mise en place est épatante et la montée en puissance admirablement maîtrisée. Se joignant à la brève rêverie de quelques cordes réfugiées au fond de l’orchestre, Harold disparaîtra dans un dernier tutti.

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L'Orchestre Philharmonique de Radio France
© Christophe Abramowitz / Radio France

Sans doute moins originale mais non moins spectaculaire, l’ouverture de concert Alassio d’Elgar fut composée en 1904 lors d’un séjour du maître en Italie. Elle présente une orchestration qui n’est pas sans rappeler Richard Strauss et contient une sérénade pour alto assez courte perdue au milieu d’éléments descriptifs volontiers tonitruants. On y trouve en abondance les topos qui illustreront tant de musiques de films, des Pirates des Caraïbes à Star Wars. Ici encore les cordes font valoir une homogénéité superbe, le chef détaille avec gourmandise quelques effets sonores spectaculaires comme cette superposition d'accords en cascade peu avant la cantilène de l’alto. L’adagio Sospiri pour orchestre à cordes évoque tour à tour celui de Barber voire l’Adagietto de la Cinquième Symphonie de Mahler. Discrètement soutenue par l’orgue de l’auditorium, la courte pièce fait également valoir une complexe partie de harpe. Gardiner tend l’arche mélodique en évitant toute sentimentalité, et la soie des cordes se propage sans effort dans la belle acoustique de Radio France.

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