Pour sa troisième venue sur les planches du Parvis d’Ibos, le contre-ténor Philippe Jaroussky offrait un premier récital piano-voix en compagnie de Jérôme Ducros, pianiste et compositeur avec lequel il a l’habitude de collaborer. La proposition s’articulait autour d'un voyage de Vienne à Paris, en deux parties distinctes (une dans la langue de Goethe et une consacrée à la poésie française) dont la mise côte à côte reste toutefois bien mystérieuse. À l'issue de la soirée, un constat s'imposera : Philippe Jaroussky excelle dans tout ce qui peut être investi d’une interprétation rappelant son travail en musique ancienne (porté sur la clarté du texte et de l'intonation), mais livre des lectures romantiques plus fades, car plus instables et obligeant le contre-ténor à s'écarter de ses habitudes vocales.

Jaroussky démarre la soirée sous de bons auspices avec Joseph Haydn : le texte est parfaitement clair, les phrasés très précis et les tenues pures, sans aucun vibrato. Même leçon dans les pièces de Mozart dont l’interprétation est très sautillante et dynamique, avec une voix très douce et brillante, sans fioriture. En seconde partie de soirée, on retrouvera une clarté et une pureté semblables dans les mélodies de Reynaldo Hahn : À Chloris est magnifique, le contre-ténor et le pianiste prenant le temps de bien ralentir fin de phrases et cadences, tandis que D’une prison amène de délicates montées et descentes mélodiques pour lesquelles le chanteur soigne les nuances et l’intonation, peaufinant une atmosphère totalement planante. En bis, on retrouvera Verlaine avec Colombine, donnée dans sa version d’Irene Poldowski, que le duo a déjà enregistrée, mais avec quelques libertés : ainsi Philippe Jaroussky quitte sa voix de tête puis se met à siffloter, alors que Ducros insiste sur les accents jazzy du morceau.
De son côté, le pianiste trouve deux moments privilégiés d’individualité au centre de chacune des deux parties de la soirée. D’abord avec Franz Schubert (Klavierstück n° 2), dont il fait résonner avec délicatesse la ritournelle pour mieux contraster avec les passages plus tumultueux et graves de la pièce. Ensuite avec une pièce de Cécile Chaminade très virtuose par moments et aussi très claironnante, ce qui s’accorde bien avec la voix du contre-ténor en début et en fin de concert.
On reste plus réservé en revanche quant à l'interprétation par Jaroussky des pièces de Ludwig van Beethoven et Franz Schubert, où l’intelligibilité et l’expressivité sont moins évidentes. Dès que l’écriture romantique déforme la prosodie, demande du volume et du vibrato, le contre-ténor perd en dynamisme. L’acoustique très écrasée de la salle ne joue sans doute pas non plus en sa faveur, les réflecteurs acoustiques arrières et la très légère sonorisation permettant de délicats effets pianissimo, mais pas de grands forte. La gestuelle expressive proposée par Jaroussky ne suffit pas, le contre-ténor ne parvient pas à insuffler aux partitions l’entrain qu'elles réclament.
Les Cinq Mélodies de Venise de Gabriel Fauré manqueront également d’enthousiasme, car proposant une voix beaucoup plus glissante et en retrait (Mandoline, En sourdine, Green), vocalement plus éteinte dès que les intervalles sont moins conjoints (À Clymène). Le duo reste heureusement parfaitement équilibré, Ducros laissant toujours la voix de Jaroussky au premier plan, mais n’excluant pas de petits échanges de motifs appréciables et parfois humoristiques.