On profite de ce que le Théâtre des Champs-Élysées se remplit doucement pour lire la biographie de Nikolay Khozyainov dans le programme de salle. Curieuse littérature qui nous apprend que « Maestro a été honoré par de nombreux chefs d'Etat. Il a été nommé Chevalier Commandeur par le roi d'Espagne en 2022. Maestro a été décoré par l'empereur Akihito et l'impératrice Michiko du Japon à son concert à Suntory Hall, à Tokyo. En 2022, les Nations Unies ont commandé à Nikolay Khozyainov de composer une pièce pour son grand concert pour la paix. Maestro a donné la première mondiale de "Pétales pour la paix" lors de son concert dans la salle des Droits de l'Homme des Nations Unies en novembre 2022, suivie de la première américaine en octobre 2023 au Herbert Theater à San Francisco, où la charte des Nations Unies a été signée. Maestro Nikolay Khozyainov a été décoré de la Médaille d'or de la Paix des Nations Unies. »

Nikolay Khozyainov © Marie Staggat
Nikolay Khozyainov
© Marie Staggat

Vraiment, tout cela pour un jeune Russe de 31 ans ? Nous sommes juste réunis pour écouter le récital d'un pianiste qui s'est fait remarquer dans le seul exercice de son art, a gagné le Concours de Dublin en 2012 après s'être fait remarquer lors de la seizième édition de celui de Varsovie qu'il n'a pas remporté mais dont il était le benjamin.

Ce récital est organisé par une association des amis du pianiste basée en Suisse dont la présidente vient sur scène se présenter elle-même et annoncer son poulain. Nikolay Khozyainov entre en scène, tout sourire, en queue de pie, quelques médailles sur la poitrine, une belle tignasse de cheveux blonds bouclés, droit comme un i, très jeune premier prêt pour le bal d'Eugène Onéguine de Tchaïkovski. Il commence par la Ballade en fa mineur de Chopin, qu'il est facile de mal jouer. Et tout aussi facile de l'interpréter dans sa grandeur tragique... en faisant confiance au compositeur, à ses indications de tempo et de mesure. « Andante commodo », écrit Chopin dont le thème, qu'il fait surgir d'un brouillard de légende, doit être allant et articulé comme une aria portée par une main gauche qui en nourrit l'élan par son harmonie. Ici on a un petit chant susurré et flou, une main gauche qui ne se fera entendre qu'à la réitération.

Et il en sera ainsi tout au long de la Ballade n° 4 : quand on doit entendre la main gauche, elle déserte, mais quand Maestro le veut, il invente une mélodie qu'il va chercher dans l'appui qu'il donne à certaines notes des accords. On passe du languide à la passion, sans que jamais on sente que ce jeu par ailleurs pianistiquement épanoui soit porté par une conviction qui ferait admettre ses « idées ». Suivent donc les Pétales de la paix donnés en création française. Ces « jeux d'eau chez Monceau Fleurs » sont le produit d'une hybridation de Liszt, Grieg et Rachmaninov. Jolie bluette inoffensive dont on aurait aimé que le pianiste ne l'annonce pas sur scène pour nous parler de paix de façon « générique » ; les mots Ukraine et Russie ne seront curieusement jamais prononcés. Allez savoir pourquoi, après ces quelques arpèges parfumés, arrive la Pavane pour une infante défunte de Ravel ? Trop lente, molle, sans plans sonores distincts...

Maestro prend de nouveau le micro pour annoncer ce qui est précisé dans le programme : il va nous jouer sa transcription de trois pièces tirées du Sacre du printemps. Il y est à son affaire : il en traduit parfaitement la dimension rythmique et les superpositions instrumentales qu'il a très bien fait passer de l'orchestre au seul piano dans cet étonnant bonsaï. Après l'entracte, Sonate n° 1 de Rachmaninov. Elle ennuie quand elle n'est pas entre les mains d'un pianiste capable de s'extraire de ce flux trop généreux, pour l'ordonner, l'éclaircir tout en l'investissant dramatiquement. Le premier thème lyrique du premier mouvement passe quasi inaperçu alors qu'il est comme un choral lumineux qui surgit des ténèbres. Le deuxième mouvement noyé dans la pédale s'enlise et le troisième est saturé. On réécoute alors le récital Chopin et Liszt du jeune enregistré et publié en Pologne chez Accord en 2011 et l'on retrouve le fantastique jeune pianiste qu'on s'attendait à applaudir en ce mois de juin au TCE.

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