Si Renaud Capuçon devait être un personnage de roman, on lui attribuerait volontiers le rôle de L'Homme pressé Pierre Niox dans le roman de Paul Morand. Comme lui, il semble partager ces mille et une vies qui se succèdent, voire parfois se chevauchent, témoignant presque d’un don d’ubiquité. Pour le concert de rentrée de l’Orchestre de Chambre de Lausanne donné ce 25 septembre dans la salle art déco Métropole de Lausanne, il nous en livre en tous cas trois, de ces vies : celle de directeur musical, de chef d’orchestre et de violoniste concertiste. Laissons donc à quelques rues de là, le temps de la soirée, la vie de professeur de violon à la Haute École de Musique, ainsi que toutes les autres. Sa présence à Lausanne est sans nul doute un atout pour la vie de l’orchestre de chambre de la capitale vaudoise, et c’est en même temps pour lui l’occasion depuis 2021 de parfaire « son bras » dans la direction d’orchestre. Mais si d’aucuns s’inclinent avec joie devant son professionnalisme et son talent, cela ne doit en effet pas masquer son omniprésence sur la scène musicale, surtout quand cela vient à l’évidence péjorer le travail de fond avec l’orchestre.

Dès l’ouverture Egmont de Beethoven, on lui reconnaît sa capacité à dynamiser et pulser un orchestre que l’on a certes pu entendre plus atone par le passé selon les chefs qui le dirigeaient. Et la fin, toute en énergie, joue parfaitement le rôle d’ouverture de saison. Aux applaudissement nourris, le public ne s’y trompe pas. Dans le Concerto pour violon n° 1 de Max Bruch avant l’entracte, on entend le jeu plein, dense, massif mais cuivré de Capuçon. On sent cette volonté de faire briller et sonner le violon, selon un geste presque viril. Il y a que peu de place pour la demi-teinte ou la demi-mesure. L’archet s’enfonce dans les cordes, le passage entre les différents registres est presque toujours un geste de virtuosité.
Mais tant au violon qu’à l’orchestre, on devient très vite spectateur et extérieur d’une exécution, et globalement d’une soirée, où le seul Mouvement perpétuel – pour reprendre le titre du dernier livre de Capuçon – est de courir la partition. En première partie comme après l’entracte avec la Symphonie « Écossaise » de Mendelssohn, cela manque cruellement de narratif, de dialogue avec l’orchestre dans le concerto et de phrasé dans la symphonie. À l’orchestre, tout est compact, confus, mené tambour battant, presque sans idées fortes. À tout moment, le moindre mouvement lent semble ennuyer profondément le chef, et n’est qu’un prétexte pour relancer l’orchestre dans une course infinie. À ce rythme, l’orchestre peine parfois et on ne compte plus les décalages entre les pupitres, le manque de précision dans les attaques, dans les sautillés et les bariolages mendelssohniens. Lors du concerto, on regrette le manque de relais entre l’orchestre et le violon, comme par exemple au début de la partition pour la première phrase du pupitre des cordes à la suite du soliste.
Dans un répertoire romantique où tout chante, on s’attendrait à suivre une ligne mélodique qui s’individualiserait par rapport aux accompagnements. Mais il n’en est rien ici. L’univocité du propos et le manque de hiérarchie des pupitres ne tient pas compte des potentialités d’un orchestre de chambre que Capuçon veut à tout prix diriger comme un grand philharmonique. Les timbales n’aident hélas pas à la nuance, très monotone dans leur roulement perpétuel. Le solo de hautbois dans le finale de la symphonie est trop vite expédié pour faire entendre toute sa poésie. De même, le cantabile des violons en ouverture de symphonie passe rapidement à l’as, là où le très beau développement du thème aux violoncelles, dans la suite du mouvement, est noyé dans la masse orchestrale.
Au moment des saluts, l’homme pressé prend certes le temps de remercier de nombreuses fois les chefs de pupitres. Mais là encore, si ce n’était le deuxième concert prévu le lendemain, il semblerait à son empressement qu’un avion l’attend immédiatement en coulisses vers l’Asie ou l’Amérique pour une répétition et un concert le lendemain. Et l’on pense, tout de même, à ce dicton populaire : pierre qui roule n’amasse pas mousse.