Changement de programme et de chef à Radio France : Cristian Măcelaru, directeur musical du National, est remplacé par Kazuki Yamada, patron du Philharmonique de Monte-Carlo et futur directeur artistique de l'Orchestre symphonique de Birmingham – il y sera en 2023 le lointain successeur de Simon Rattle. On se faisait une joie de découvrir La Foi de Camille Saint-Saëns et d'écouter le rare Khamma de Claude Debussy. Allons-y pour la Danse macabre du premier et pour la Symphonie d'Ernest Chausson. Hier saucissons des concerts dominicaux des associations symphoniques parisiennes et même des deux orchestres de la radio (dont le National), les poèmes symphoniques, qui ne sont pas loin d'être le sommet de l'œuvre orchestrale de Saint-Saëns, ne sont plus joués du tout et la Danse macabre est même devenue une rareté.

Kazuki Yamada
© Marco Borggreve

Est-ce la raison pour laquelle, ayant perdu pied avec ce qui ce qui était son ordinaire, le National n'a pas particulièrement brillé sous la direction de Yamada ? Est-ce la raison pour laquelle Sarah Nemtanu, son magnifique premier violon, a confondu le grinçant parodique, pince-sans-rire voulu par le compositeur dans un solo un brin trop tzigane ? Et puis quel désordre sur le plateau ! Découlant évidemment des problèmes acoustiques du lieu. À gauche, les premiers et seconds violons ; au dessus d'eux, perchées sur des caissons de scène surélevés, les contrebasses ; à leur pied les harpes ; au centre décalés vers la droite les violoncelles ; à droite les altos ; entre les deux, perchés comme les contrebasses les cors, puis la grosse caisse et les timbales qui s'étendent vers la gauche ; au fond, étalés comme du linge sur une corde, les vents, cuivres et bois partiellement sur deux rangs ! Ce n'est pas possible ! La musique a été orchestrée pour une disposition différente des musiciens dans l'orchestre. Et là, cela sonne brouillon, dur ; les timbres ne fusionnent pas. Si Yamada ne peut pas récupérer ce qui dès le départ ne fonctionne pas, il ne brille néanmoins pas par sa subtilité : la Danse macabre prend du ventre, les fortissimos saturent, les percussions excitent les résonances de la salle et empâtent l'ensemble qui perd toute fulgurance et finesse.

Et comme ce chef ne semble pas passionné par le galbé des phrases, les gradations de dynamiques soignées, les équilibres entre pupitres qu'il dirige, disons-le, avec une efficacité dénuée de subtilité, la Symphonie de Chausson passe mal d'être coincée entre mezzo forte et fortissimos tonitruants. D'autant que c'est une œuvre qu'il faut aider, dont les beautés réelles ne se livrent pas si le chef qui est aux commandes ne sait pas en éclaircir les touffeurs, en aérer les masses, en régler la balance, en suivre les méandres harmoniques de façon à leur donner tout leur sens organique, s'il ne sait pas faire avancer la musique aussi fermement que souplement – et avec éloquence. Yamada n'est ni Jean Fournet, ni Paul Paray, ni Armin Jordan, ni Michel Plasson, mais pouce une fois encore : cette disposition d'orchestre sur le plateau ne l'aide pas. Ne faudrait-il pas reprendre les choses à la base : tout le monde à plat, dans les deux dispositions ordinaires des orchestres et placer des panneaux absorbants sur la ceinture murale qui entoure l'orchestre pour que le son ne rebondisse pas dessus ? Depuis l'ouverture de la salle rien ne s'est amélioré, on a même la certitude que c'était mieux dans les premiers temps.

Alexandre Kantorow
© Sasha Gusov

Et « L'Egyptien » de Saint-Saëns ? Alexandre Kantorow en aura été le patron. Son piano est d'une précision aussi hallucinante qu'elle est au service d'un propos plein d'esprit et pur de toute volonté de paraître. Son jeu est tout de grâce et d'élégance, d'une telle variété d'attaques et de nuances et d'une telle puissance de pensée que l'orchestre et le chef sont à son écoute. La façon virevoltante dont il joue les traits les plus véloces, tout comme sa façon de prendre un tempo un peu rapide dans le fameux thème andalou du deuxième mouvement sont irrésistibles au moins autant que sa virtuosité incandescente et joueuse dans la toccata conclusive. Triomphe. Il revient jouer la Première Ballade de Brahms avec le son transparent et timbré du jeune Horowitz ou mieux encore de Michelangeli en public dont le clavier donnait l'impression de faire 20 centimètres de profondeur, comme celui de Kantorow ce soir ! Triomphe encore. Tiens ? Il revient avec son iPad pour un second bis, ce qui est rare après un concerto. Et là – le traître ! –, joue la Cancion n° 6 de Mompou. Trois accords : les lunettes s'embuent. On est au-delà de l'exprimable, dans des sphères de la conscience de chacun auxquelles seuls quelques rares élus se connectent. Kantorow est l'un d'eux.

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