Même si l’auditorium n’était pas tout à fait plein ce samedi soir, les Dijonnais ont tout de même répondu en nombre – et en famille – à l’invitation de Laurent Joyeux, qui proposait « Une soirée d’opéra à Paris ». Quoi de mieux en effet pour attirer un large public qu’un programme composé autour des pages parmi les plus célèbres du répertoire de l’opéra français ? Le choix des artistes était, lui aussi, très judicieux : les excellents Gaëlle Arquez (mezzo-soprano) et Sébastien Guèze (ténor), jeunes étoiles montantes, non seulement en France, mais aussi sur les scènes internationales.
Cette « soirée d’opéra à Paris » nous offre donc de feuilleter le grand livre de l’opéra français, de Gluck à Massenet, en passant par Berlioz, Bizet, Offenbach et Gounod. Rien de très original en somme, mais des arias, des chœurs, des passages instrumentaux que tout le monde, ou presque, connaît : un éventail assez justement représentatif de ce qu’est l’opéra français des XVIIIème et XIXème siècles.
La soirée débute avec l’ouverture d’Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck. Ce n’est sans doute pas le répertoire de prédilection de l’Orchestre Dijon-Bourgogne, mais sous la baguette de son directeur musical Gergely Madaras, celui-ci trouve et restitue les accents et les couleurs si particuliers de cette œuvre emblématique d’une période charnière de l’histoire de l’opéra. On retrouve l’orchestre bien plus à son aise dans toute la suite du programme. Le résultat du travail de Gergely Madaras est superbe, tout en couleurs, avec une précision millimétrique : attaques brillamment tranchantes dans l’ouverture des Contes d’Hoffmann, énergie débordante et communicative dans la valse de Faust et l’ouverture de Carmen.
Le Chœur de l’Opéra de Dijon est lui aussi tout à fait remarquable. C’est un très bel ensemble, dont tous les pupitres s’adaptent parfaitement aux différents répertoires abordés. Aux couleurs sombres et à la noble retenue des chœurs d’Orphée et Eurydice, notamment « Ah dans ce bois tranquille et sombre », succèdent presque sans transition – mais avec une égale précision – les joyeux « Glou ! Glou ! Glou ! » des Contes d’Hoffmann. Et si le « Gloire immortelle de nos aïeux », extrait de Faust, manque un peu de puissance et d’énergie martiale, le chœur des cigarières de Carmen fait vite oublier cette petite « baisse de régime ».
Le premier air chanté par Sébastien Guèze est la célèbre « Chanson de Kleinzach » des Contes d’Hoffmann. On est d’emblée frappé et séduit par la brillance de ses aigus, à la fois puissants, ronds et superbement projetés. Les graves, en revanche, sont parfois difficilement audibles, courts, voire escamotés en fin de phrases. Cela se confirme, et s’amplifie même, avec le Lied d’Ossian, tiré de Werther « Pourquoi me réveiller », puis dans l’air du deuxième acte de Carmen « La fleur que tu m’avais jetée ». À l’évidence, Sébastien Guèze n’est pas au mieux de sa forme. Alors, ne lui jetons surtout pas la pierre, et réjouissons-nous plutôt de voir en lui, d’ici quelques années, un futur grand Werther.
Le public Dijonnais avait pu découvrir Gaëlle Arquez l’année dernière, avec une production de Castor et Pollux de Rameau, dans laquelle elle interprétait le rôle de Phœbé. Son « Va, laisse couler mes larmes » et le duo extraits de Werther sont des modèles d’émotion contenue. Timbre superbe, de soie et de bois précieux, diction impeccable, la voix de Gaëlle Arquez semble seoir à tous les rôles – à moins que ce ne soit l’inverse. C’est dans Carmen, dernière partie du programme, qu’elle s’exprime le plus largement. Un peu timidement d’abord, avec « L’amour est un oiseau rebelle » où l’on eût aimé qu’elle osât davantage. Fort heureusement, elle se libère ensuite au fil des airs : d’abord avec la séguedille « Près des remparts de Séville », puis la Chanson bohême « Les tringles des cistres tintaient », pour terminer, particulièrement émouvante, dans le duo final « C’est toi ! c’est moi ! ».
Dans l’ensemble, la soirée a tenu ses promesses en offrant un spectacle de grande qualité, propre à satisfaire les amoureux de l’art lyrique autant qu’à recruter un public moins familier des maisons d’opéra. N’oublions pas que c’est aussi grâce à des initiatives telles que celle-ci – dont l’opéra de Dijon n’est pas avare – que l’opéra restera un art vivant.