Alors que Renaud Capuçon nous avait habitués aux salles combles et aux concerts qui, sitôt annoncés, affichent complet, force est de constater que ce soir la foule n’a pas répondu présent : en plus de balcons dépeuplés, le parterre de la Philharmonie de Paris s’est trouvé si clairsemé qu’il a fallu le remplir artificiellement par le surclassement d’une partie des auditeurs. Symptôme d’une overdose de Capuçon pour le public ? Certes la présence récurrente du violoniste sur la scène parisienne ne procure plus l’excitation d’un rendez-vous exceptionnel, mais n’exagérons pas. La faute, alors, à un programme quelque peu inégal quant à la qualité des œuvres programmées ? Plus probablement.

Paavo Järvi © Kaupo Kikkas
Paavo Järvi
© Kaupo Kikkas

Par exemple ce Concerto pour violon en ré mineur de Richard Strauss, sorti du fond des tiroirs de l’Orchestre de Paris qui ne l’a joué qu’une fois, en 2003, déjà aux côtés du soliste français. Si certaines œuvres de jeunesse comportent un intérêt certain (tant elles sont révélatrices du langage à venir de leur compositeur), ce Concerto composé par un Strauss de dix-sept ans entre bien difficilement dans cette catégorie. On note tout au plus une inclination pour la mélodie dans le deuxième mouvement et quelques accents revêches dans le troisième ; pour le reste, le traitement orchestral est si sommaire, si académique, qu’il est difficile d’y reconnaître la griffe de l’illustre Bavarois.

Toutefois Renaud Capuçon ne l’entend pas de cette oreille et, s’en faisant l’avocat, exécute cette pièce avec le même aplomb que pour les chefs-d’œuvre du genre. Sans changer radicalement l’idée que l’on peut se faire de la partition, cette interprétation pleine de conviction parvient à retenir l’attention et procurer quelques beaux moments. Malgré son goût prononcé pour le beau son, le soliste montre ainsi dans l’Allegro introductif un entrain et une puissante énergie que l’on retrouvera également dans le Rondo. Pris avec une expressivité grinçante, ce dernier mouvement laisse même entrevoir quelques surprenants accents donquichottesques. Quant au Lento central, s’il montre le penchant de son auteur pour le chant et la voix, il glisse vers un romantisme tire-larmes sous l’archet du soliste. Mais ce sentimentalisme n’est-il pas le propos de ce mouvement lent né, rappelons-le, dans l’esprit d’un adolescent ?

Trente ans après cet essai infructueux dans le genre du concerto, Strauss s’aventure du côté de la danse en proposant La Légende de Joseph aux Ballets russes de Diaghilev. Le succès sera éphémère pour cette œuvre d’où le compositeur tirera finalement un Fragment symphonique, condensé orchestral du ballet original ; c’est ce Fragment que Paavo Järvi, décidément enclin à dépoussiérer le catalogue dudit Richard, fait entrer ce soir au répertoire de l’Orchestre de Paris. 

Si le compositeur semblait ennuyé – selon la correspondance entretenue avec Hofmannsthal – par la chasteté de Joseph, le chef estonien se montre quant à lui particulièrement inspiré par cet épisode de l'Ancien Testament et le sert de la plus belle manière, dans la continuité de la superbe version gravée par son père Neeme. Attentif aux transitions autant qu’aux équilibres instrumentaux, le chef fait naître une atmosphère moite – qui n’est pas sans rappeler celle de Salomé – mais haute en couleur, qui progresse avec cohérence et fluidité à travers les différentes sections, sans jamais tomber dans l’anecdote, et procurant au finale une allure biblique absolument grandiose.

Ce sens de la grande forme se retrouvera également après l’entracte, dans la Symphonie en ré mineur de César Franck, étendard de la forme cyclique – extension de l’idée fixe berliozienne et du leitmotiv wagnérien. Alors que les musiciens développent dans le premier mouvement un moelleux et une ampleur volontiers tournés vers l’autre rive du Rhin, l’Allegretto du deuxième mouvement est l’occasion pour Gildas Prado de faire sonner son cor anglais avec un irrésistible cantabile, emportant l’auditeur dans les plus hautes sphères jusqu’au festival sonore du finale.

Excepté un pupitre de cors en difficulté ce soir, l’Orchestre de Paris montre de belles qualités et un hédonisme que Paavo Järvi n’hésite pas à convoquer, mais aussi à maîtriser lorsque l’écriture de Franck se révèle par trop enflée. Malgré l’économie de moyens affichée par le maestro, l’entente avec son ancienne phalange est totale et les musiciens relèvent finalement sans peine le défi imposé par ce programme original.

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