En cette période de rentrée, un des enjeux majeurs est de sortir vainqueur de la razzia sur les fournitures scolaires. L'Orchestre Philharmonique de Radio France s'y est taillé la part du lion, du moins le percussionniste derrière lequel on est placé pour le concert d'ouverture de saison de la formation, avec une vue plongeante sur sa partition méticuleusement surlignée de différentes couleurs. Il faut dire que le programme met en avant la création, inscrite dans l'ADN du Philhar' : les œuvres nouvelles exigeant une concentration extrême de tous les instants, a fortiori de la part du pupitre des percussions dont un coup de cymbale mal ajusté ferait tache, le Stabilo devient alors un allié de choix…

Mikko Franck, l'Orchestre Philharmonique et la Maîtrise de Radio France © Christophe Abramowitz / Radio France
Mikko Franck, l'Orchestre Philharmonique et la Maîtrise de Radio France
© Christophe Abramowitz / Radio France

La création mondiale du soir s'intitule Du Gouffre de l’aurore, une œuvre de Tatiana Probst en forme de patchwork dont les différentes séquences semblent associées à des courants de l’histoire de la musique (musique antique avec les flûtes, chant grégorien, swing puis musique répétitive), le tout étant traversé par un motif descendant quasi chaotique de quatre notes, probablement le motif du gouffre. L’orchestre n’est pas seul : la Maîtrise de Radio France de Sofi Jeannin lui vole même la vedette dans cette page. D’une synchronisation exemplaire, les différents pupitres du chœur charment les oreilles et donnent du cachet à la polyphonie de leur partition. Il faut dire que Tatiana Probst connaît son affaire, elle-même ancienne choriste de l’ensemble.

Le concert s’ouvrait avec Les Nuits d’été de Berlioz, interprétées par Lea Desandre. La mezzo-soprano enchante littéralement les poèmes du recueil romantique où les spectres et la mort rôdent. Profitant de l’accompagnement discret d’un orchestre bien équilibré par Mikko Franck, elle déploie une large palette de nuances et enchaine les exploits techniques avec aisance. L’artiste se joue des intervalles parfois acrobatiques sans le moindre glissando, réalise les soufflets crescendo des débuts de strophe d’« Absence » comme peu l’osent et ajuste son léger vibrato selon le texte, à l’image du « plaintif » non vibré qui termine « Au cimetière ». Son timbre agréable, doux comme le « léger parfum » du « Spectre de la rose », est par ailleurs constant sur toute la tessiture, avec des graves de plus en plus assurés au fil des numéros.

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Lea Desandre dans Les Nuits d'été
© Christophe Abramowitz / Radio France

Après la nuit et l’aurore, quoi de plus naturel que la Symphonie alpestre de Richard Strauss, qui s’ouvre sur le lever de soleil sur la montagne ? Le choix de cette œuvre n’est pas anodin : elle inaugure le cycle de quatorze concerts que propose le Philhar' autour du thème « Nature et vivant ». Le but des spectacles concernés est de faire résonner les grandes œuvres du répertoire avec les enjeux écologiques contemporains, la symphonie du jour alertant sur la situation préoccupante du glacier d’Aletsch, plus grand glacier des Alpes. L’engagement responsable de Radio France est-il compatible avec le paquet de quatorze mentos (un par concert ?) estampillé Auditorium de Radio France, que la Maison ronde offre étrangement ce soir à chacun de ses invités ? L’emballage en aluminium violet ne semble pas biodégradable outre mesure…

Mikko Franck propose une version très aboutie de cet Everest symphonique. Toutes les étapes de l’ascension de la montagne s’enchaînent sans heurt, évitant un effet de juxtapositions d’épisodes qui hacherait le rythme de cette longue randonnée. Le chef bâtit ainsi des phrasés sur le très long terme, en maniant subtilement le rubato de manière à lui donner un véritable effet.

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Mikko Franck et l'Orchestre Philharmonique de Radio France
© Christophe Abramowitz / Radio France

Cette architecture d’ensemble n’oublie pas les nombreux détails de la partition. Ainsi le soleil qui se lève au début de l’œuvre n’est pas complètement tonitruant, il baigne d’une lumière chaleureuse les balcons boisés de l’auditorium sans les assommer de manière caniculaire comme on l’entend parfois. L’art du dosage de Mikko Franck permet de mettre en avant les éléments en évitant une surenchère de décibels : on entend ainsi sereinement les oiseaux de la petite clarinette, des flûtes et du hautbois au début de l’œuvre, ou encore les mouches qui bourdonnent autour des vaches, déguisées en trilles de seconds violons et gammes d’altos.

Alors que le calme avant la tempête sonne plus vrai que nature, le déchaînement des éléments dépasse cette gestion habile des plans sonores bien que le chef le rende presque intelligible par la clarté de ses indications gestuelles. Les notes lacèrent le sommet de la montagne, mais elles lacèrent au moins autant les tympans de l’auditoire d’une salle dont l’acoustique explose avec un tel déferlement de puissance, alors que la partition demande à la centaine de musiciens sur scène de jouer fortissimo. De quoi appréhender le prochain concert du cycle « Nature et vivant », jeudi 19 septembre : la Troisième Symphonie de Mahler appelle une construction d’ensemble exigeante mais n’est pas avare d’effets sonores tranchants…

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