C’est un mois d’avril riche en actualités pour la jeune compositrice Camille Pépin qui, quelques jours seulement après la sortie d’un album très remarqué, s’est assurée la création de son premier Concerto pour violon et orchestre « Le sommeil a pris ton empreinte » par des interprètes de choix dans l’Auditorium de la Maison de la Radio : Renaud Capuçon au violon, accompagné par l’Orchestre National de France sous la direction de Simone Young. Cette pièce d’une vingtaine de minutes est organisée en cinq mouvements, et animée par le retour cyclique d’un thème commun aux premier, troisième et dernier mouvements – lesquels reprennent en titre les vers de Paul Éluard « Le sommeil a pris ton empreinte / Et la colore de tes yeux ». Si la forme paraît un peu raide, le fond l’est heureusement beaucoup moins et répond aux exigences lyriques que la compositrice s’est fixées.

Constamment sollicité, le violon de Renaud Capuçon introduit l’œuvre par des trémolos presque bruitistes, avant de changer subtilement de teinte pour adopter un langage plus harmonique et mélodieux. Sans même que l’auditeur le perçoive comme tel, c’est en réalité à un jeu de camouflage que s’adonne ce violon-caméléon : l’instrument semble insaisissable, systématiquement en transition d’un mode de jeu à l’autre, d’une phrase à l’autre, d’une émotion à l’autre. Ce refus du statisme – incarné par un Renaud Capuçon frémissant, semblant éprouver physiquement la partition – inscrit alors l’œuvre tout entière dans une grande coulée lyrique qui plonge l’auditeur dans un mirage haut en couleur. Traité de façon complémentaire, l’orchestre n’affronte pas le soliste mais le commente, l’agrémente et l’enrobe ; comme deux lianes enroulées qui fusionnent pour ne plus faire qu’une, orchestre et violon se fondent dans l’élan organique, mouvementé et chatoyant de ce Concerto.
Picturale et figurative, l’œuvre semble se laisser aller à un néo-impressionnisme – flirtant parfois avec le décoratif – dont les bribes de mélodies accusent d’étonnantes similitudes avec un certain folklore nordique : devant ces éruptions volcaniques, ces déchaînements de l’océan, ce vent fouettant la bruyère, on se croirait immergé dans un imaginaire scandinave très cinématographique. L’auditeur est happé par la beauté sonore de ce kaléidoscope musical sans être pour autant emporté ni par la fantasmagorie ni par la métaphysique amoureuse de Paul Éluard, et garde invariablement les pieds sur terre.
Si cette convaincante première partie ne nous a pas fait décoller, peut-être était-ce pour mieux préparer notre enterrement par la seconde. Comment qualifier cette Première Symphonie de Mahler sans employer les termes de longue, lourde et fastidieuse ? Simone Young tente un pari audacieux et risqué : celui d’aller chercher une nouvelle vérité musicale, de forcer la partition pour y puiser une nouvelle essence… Pour ce faire, le tempo est ralenti, les textures aplanies et les dynamiques lissées. Cette méthode n’aboutit malheureusement qu’à des inconséquences : les couleurs deviennent ternes, le flux est engourdi et l’architecture est absente. Toutes les phrases semblent si travaillées, appuyées et si peu naturelles qu’elles plombent tout éveil de la nature dans le premier mouvement, ajoutent à la lourdeur du Ländler une excessive verticalité dans le deuxième, et fagotent d’un sérieux ridicule le Bruder Jakob sans ironie du troisième. Au sommet du Golgotha, le quatrième mouvement finit de crucifier cette Première de Mahler dans un déluge instrumental creux et bourru. Loin d’être impérial ce soir, le National ne parviendra pas sauver du naufrage cette seconde partie de concert. On se souviendra plus volontiers qu’il a brillé dans la première, tant par la subtilité de son jeu que par la qualité de son écoute du soliste et de la cheffe.