À l’heure où des contrats d’exclusivité empêchent parfois les artistes de se produire dans certaines salles, voir Thomas Hengelbrock à la tête de l’Orchestre National de France joint l’étonnement à la curiosité alors même que le chef allemand a hérité depuis septembre de la direction musicale d'une formation voisine, l’Orchestre de chambre de Paris. On est curieux d’entendre ce spécialiste du classicisme diriger la Symphonie « du Nouveau Monde », dans un programme alliant la tradition formelle de Mozart et Haydn et les innovations slaves que Dvořák y a intégrées.

Thomas Hengelbrock en répétition avec l'Orchestre National de France © Christophe Abramowitz / Radio France
Thomas Hengelbrock en répétition avec l'Orchestre National de France
© Christophe Abramowitz / Radio France

Pour commencer, la Symphonie n° 35 « Haffner » de Mozart est un condensé d’élégance et d’énergie, où chaque mouvement doit entraîner dans un élan irrésistible. Le premier pose le décor majestueux attendu, avec cette pointe d’agitation qui dynamise les lignes : les gammes virtuoses et les trilles mettent en valeur la technique des musiciens. Lorsque par moments l’élan retombe insensiblement, le chef relance le discours avec justesse, comme lorsqu’il met en valeur la cellule thématique aux altos, dont la nuance piano ménage une adroite progression.

Pendant l’écoute de cet « Allegro », on se dit que Mozart était un savant dramaturge pour ménager de tels contrastes au sein d’un même mouvement, et que Hengelbrock l’a bien compris. La suite de l’interprétation fera malheureusement évoluer cette opinion. L’« Andante » se révèle en effet bien terne. Alors que les notes s’enchaînent presque mécaniquement, sans phrasé et sans variation de ton, on sombre rapidement dans un ennui que vient distraire la justesse des équilibres des bois du National, tant entre eux qu’au sein de l’ensemble (ce sera une constante du concert). La fraicheur du « Menuetto » redonne un semblant d’entrain, mais ce dernier est de courte durée : l’uniformité des appuis confine à la caricature. Après un tel traitement, on peinera à entrer dans le « Finale », certes virtuose mais le mal est fait.

L’air de concert « Berenice, che fai ? » de Haydn tombe à point nommé pour insuffler un peu de théâtre. Ève-Maud Hubeaux chante en ce moment Fricka dans la nouvelle production de L'Or du Rhin à Bastille, aussi n’est-on pas surpris de la voir arriver drapée d’une immense cape blanche, le doigt serti d’une bague brillante assortie à une robe bleu ciel… La mezzo-soprano descend du Walhalla ! Si sa voix accuse quelques rares signes de fatigue, on ne peut que louer tout le travail de la chanteuse : travail sur les notes non vibrées, attention aux inflexions des appoggiatures plaintives, conduite de longues phrases tant dans les récitatifs que dans les airs, précision de la technique vocale dans les attaques et les nuances sur l’ensemble de la tessiture. Tout cela s’associe à une voix au timbre dense et puissant – possiblement trop puissant dans Haydn justement, avec une légère saturation vers la fin de la partition.

À partir de la moitié du premier récitatif, l’orchestre décide d’animer le discours : de solfégiques, les ponctuations évoluent vers une narration éloquente, toute en précipitation bienvenue. L’accompagnement du deuxième air est également réussi, retrouvant un sens de la pulsation qui soutient subtilement l’urgence du drame.

L’urgence du drame, c’est ce qu’il aura manqué dans la Symphonie « du Nouveau Monde ». Certes l’œuvre n’est pas victime ce soir des interprétations caricaturales où tout n’est que surenchère sonore et de rapidité, traduisant un supposé sentiment d’impérialisme triomphant. Mais son apaisement relatif – peut-être pour oublier les folies outre-Atlantique actuelles – émousse l’énergie qui devrait se dégager de la partition. Si bien que parfois l’orchestre se cherche, à l’image d’un troisième mouvement dont les changements de tempo sont souvent synonymes de décalages.

Hengelbrock propose quelques idées originales. Elles semblent parfois bien artificielles, à l’image du ralenti précédant un glissando des violons pendant le premier mouvement : le procédé peut se justifier en invoquant les influences slaves de Dvořák, mais il s’agit ici d’un épiphénomène jamais repris ailleurs qui fait sourire les musiciens. Les variations de tempo sont parfois étirées à l’extrême, comme le solo de flûte de l’« Allegro molto », extrêmement lent.

Les moments plus recueillis de l’œuvre sont cependant source de grande satisfaction : la cohésion des cordes dans les nuances piano dégage une atmosphère contemplative au lyrisme contenu envoûtant. L’introduction de la symphonie et le deuxième mouvement sont à ce titre très réussis, avec un solo de cor anglais de Laurent Decker tout en nostalgie lointaine, au vibrato émouvant. Le début du quatrième mouvement marque enfin un sentiment de plénitude sonore émanant de tout l’orchestre ; mais à nouveau la dynamique se tasse, la mécanique s’enraye et le moteur ne redémarrera que bien difficilement.

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